Écrit par Aurore Evain
Création Sonore Laurent Sellier
Voix Marianne Schlégel
Jeanne Moreau entre dans le tourbillon de la vie le 23 juillet 1928. Fille non désirée, elle passe son enfance à Pigalle, où son père tient une brasserie. Sa mère, girl aux Folies Bergères, a dû abandonner sa carrière à sa naissance. Elle dort au milieu des punaises de lit, dans des hôtels de passe. « De l’enfance, je suis entrée dans la résistance, j’ai été tout de suite du côté des déshérités. »
La belle se pique au rouet de la scène et fait la rencontre de l’Antigone d’Anouilh, une révélation. Le tourbillon s’accélère. Benjamine de la Comédie-Française, elle enchaîne les classiques, tout en jouant les putains dans les séries B. Peu lui importe : elle apprend. Jeanne Moreau est une travailleuse acharnée. Les interdits la galvanisent. Tout comme la gifle de son père, apprenant sa vocation par le journal, et la mettant à la porte.
Elle repart, prend une deuxième baffe, de cinéma cette fois : celle de Gabin, dans Touchez pas au Grisbi, qui lancera sa carrière. Elle est actrice, non comédienne, insiste-t-elle : elle ne joue pas, elle est. Elle infuse ses personnages de sa connaissance instinctive de la vie. Une vie où elle puise son inspiration pour éclairer ses regards, nuancer cette voix, inimitable, déambuler dans ses parts d’ombre et de lumière. C’est ainsi qu’elle descend les Champs-Elysées, « le visage à nu », sans maquillage, avec pour seul éclairage les lumières des vitrines, accompagnée par le saxo de Miles Davis, sous la caméra du jeune Louis Malle. Avec lui, elle tournera la première scène de jouissance féminine du cinéma. Premier scandale. Et non le dernier.
Jeanne Moreau ne s’écrit pas. Elle se regarde, elle s’écoute. Elle se chante. Elle se filme. La Nouvelle Jeanne donne naissance à la Nouvelle Vague, et inversement. Elle fait les 400 coups avec François Truffaut, tourbillonne encore et toujours au milieu de Jules et Jim, plonge dans La Baie des Anges et, vieille, marche dans la mer… Plus de 130 films, 50 pièces, et des chansons qui nous tournent encore dans la tête… Dès qu’il y a une nouvelle vague quelque part, elle est pour moi !… Egérie de Pierre Cardin, Jeanne la fatale est avant tout une femme libre, une subversive qui « vécut comme un homme».
« La plus grande liberté, c’est d’être soi-même. » : elle le fut à tous les âges et quitta le tourbillon de la vie le 31 juillet 2017.
On a souvent la mémoire qui flanche à propos des actrices, et dans votre cas, Jeanne Moreau, je découvre qu’on ne se souvient plus très bien de la réalisatrice, la scénariste, la parolière, la découvreuse de talents, la féministe, que vous fûtes.
Actrice de l’émancipation féminine, vous avez consacré votre seul documentaire à Lilian Gish, actrice, scénariste et réalisatrice vedette du cinéma muet américain. Aujourd’hui, devant cette école qui porte votre nom, quittons-nous sur les mots du metteur en scène Klaus Michael Grüber, ils furent votre mantra, jusqu’à votre dernier soupir : « Garde la parole froide et le cœur brûlant. »