Écrit par Mariette Navarro
Création Sonore Laurent Sellier
Voix Marianne Schlégel
Partout, on connaît son visage. Persistance rétinienne de ses traits: le regard vif, la fossette, le sourire effronté, la barrette retenant les cheveux rebelles. Au moment où on la rencontre, au moment où elle se fige dans cette image pour les générations futures, en 1942, elle entre dans l’adolescence. Elle vit à Amsterdam, ses parents ont quitté l’Allemagne en 1933 parce qu’ils étaient juifs. Elle est une jeune fille de son âge, qui plaît aux garçons, bavarde en classe, a de meilleures amies et de meilleurs ennemies normales. Elle découvre l’écriture le jour-même où on lui offre son journal. Quelques semaines plus tard, alors qu’une lettre de convocation arrive pour sa grande soeur Margot, toute la famille entre dans la clandestinité. Huit clandestins apprennent à survivre ensemble dans l’Annexe, un grenier aménagé au-dessus d’un immeuble de bureaux. Tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle a laissé au monde, c’est depuis cette captivité qu’elle le déploie. Naissance spectaculaire et secrète d’une écrivaine, pour qui écrire est la seule planche de salut pendant deux ans d’enfermement. Entre 13 et 15 ans, elle a déjà le regard aiguisé d’une artiste mature, décortique, analyse, souffre, se débat, tombe amoureuse, découvre la sexualité, espère. Attend. Prête et sûre qu’elle fera de grandes choses. Et, en lisant, nous en sommes sûrs avec elle.
« Qui d’autre que moi lira un jour ces lettres ? Qui d’autre que moi me consolera? », demande Anne. « Je me sens comme l’oiseau chanteur dont on a brutalement arraché les ailes et qui, dans l’obscurité totale, se cogne contre les barreaux de sa cage trop étroite ».
Depuis plus de soixante-dix ans, on lit ces lettres d’oiseau chanteur et elles nous consolent. Parce que l’humanité d’Anne Frank est irréductible, concentré de résistance et de vitalité.
Nous ne savons rien des derniers moments, l’irruption dans la cachette, la déportation, la maladie et la mort à quelques jour seulement de la libération. J’aimerais qu’elle ait su l’ouverture des cages et le monde d’après. La paix, fragile, dont nous sommes, pour elle, les dépositaires.