Écrit par Praline Gay-Para
Création Sonore Laurent Sellier
Voix Marianne Schlégel
Chère Mélinée,
J’ai découvert ton prénom au gré d’une rue de la ville. Je connaissais ton nom, ou plutôt celui de ton époux, Missak Manouchian, le héros de l’Affiche rouge. Un désir soudain de savoir qui tu étais a surgi comme une nécessité. Chercher tes traces et les suivre pour te connaître. Et je t’ai rencontrée.
Comment t’écrire ? Comme à une grande sœur que j’admire ou à une héroïne d’épopée, intrépide et vaillante, qui brave tous les dangers sans jamais se laisser prendre ? La seconde est sans doute plus universelle et aiguise mon imagination. Tu as enfourché ta conviction qu’un monde meilleur est possible, comme un destrier qui brave l’espace et le temps.
Femme d’engagement et de courage, l’Histoire a effacé ta trace. Résistante à l’occupation nazie, tu as toujours combattu la barbarie. Tu avais choisi ton camp très tôt ; celui de la justice, de la liberté, de la paix. Toi l’orpheline qui avait perdu sa famille lors des massacres du peuple arménien en 1915, tu t’enflammais face aux cultivateurs du malheur.
Héroïne d’épopée, parce qu’universelle. Tu as su narguer les soldats et les miliciens avec ton rire, tu as pu faire passer sous leur nez tout ce que tu voulais sans jamais te démonter. Le mythe des héros et des héroïnes qui ne connaissent pas la peur est certainement mensonge. Elles et ils apprennent à l’apprivoiser. Tu as brandi vaillamment tes armes ; ton engagement et tes convictions, pour abattre l’effroi et l’hydre à sept têtes, d’un coup, d’un seul.
L’amour de la vie et de la fête, en riant, tu leur as tenu tête. Mélinée la téméraire sur son vaillant destrier qui a pulvérisé d’un coup de sabre les hordes de la mort.
Téméraire, tu fonçais en ne pensant qu’à ton but. Tu t’en sortais, comme un cheveu de la pâte à pain, comme on dit par là-bas. Était-ce la force de l’orpheline ou alors cette énergie de rebelle? Ne pas agir, c’est accepter.
L’Histoire, avec une grande hache, ampute depuis longtemps les noms des femmes qui l’ont façonnée. Résistant s’y conjugue toujours au masculin. J’aurais tant aimé voir dans les livres d’histoire ton nom. Toutes les jeunes filles auraient été fières de s’identifier à toi. Elles auraient voulu grandir pour te ressembler. J’ai attendu d’avoir des cheveux blancs pour apprendre qui tu étais. Il n’est jamais trop tard. Je voudrais que les écoles, les jardins, les arbres, les rues, les bibliothèques portent ton nom pour qu’il demeure et nous rappelle à jamais que les femmes n’ont pas seulement cuisiné pour les combattants de la liberté. Elles n’ont pas été que des mères, des sœurs, des femmes, des amantes qui ont soutenu leurs aimés.
À la libération, tu n’as pas abandonné le combat. Tu as continué ta lutte pour faire la vérité sur les trahisons qui ont mené Missac Manouchian et ses jeunes camarades tous immigrés, arméniens et juifs en majorité, dans les griffes du monstre. Tu nous tends un miroir en nous posant une question hélas toujours d’actualité : « Quelle est la société qui adule ses immigrés pendant la tempête et qui les dénigre, l’accalmie revenue ? »
Je voudrais te rassurer, de nombreuses femmes continuent le combat.
Je te promets, nous l’aurons un jour notre monde meilleur.